Fernando Parladé
Fernando Parladé

 

Dans l’histoire des ganaderías braves, Fernando Parladé est un paradoxe car il est tout à la fois un centre et une périphérie. De son nom naquit la majorité de tous les sous-encastes contemporains alors que lui-même ne fut qu’une étoile filante dans le monde des éleveurs de toros. Il ne resta à la tête de ses « Ibarra » qu’une courte dizaine d’années, soit de 1903 à 1914. Aujourd’hui, pourtant, les aficionados citent encore le nom de Parladé pour qualifier les toros d’élevages descendants de sa ganadería : les Domecq viennent de là, les La Corte, Atanasio, Nuñez, Pedrajas aussi. Parladé est donc le coeur de la cabaña brava actuelle mais celui qui donna son patronyme à ses toros fut un éleveur « périphérique » et lointain, peu enclin par exemple à porter le traje campero ou à se balader à cheval au milieu de ses bichos. Un paradoxe ou une énigme.




Fernando Parladé y Heredia est né durant les années 1860 et était le second fils de Andrés Parladé y Sánchez de Quirós (mort en 1902) et de María Heredia Livermore (décédée en 1900). Son père était le deuxième comte de Aguiar et son grand-père paternel, Pablo Parladé y Llucía était un Catalan venu s’installer à Málaga en Andalousie. L’on sourit, d’ailleurs, à l’heure où la Catalogne espagnole est devenue anti-taurine, de constater que les deux hommes qui se partagèrent l’élevage d’Eduardo Ibarra (d’ascendance basque, lui) avaient des origines catalanes. Par sa grand-mère paternelle, María Sánchez de Quirós y de la Hinojosa, la famille était détentrice du condado de Aguiar octroyé par le roi Alfonso XII en 1877. Par la famille de sa mère, les Heredia de Málaga, provenait une fortune acquise dans le secteur de la métallurgie. Fernando Parladé y Heredia est né dans une famille très nombreuse et comptait plus de dix frères et soeurs. C’est durant son enfance que ses parents prirent la décision de venir s’installer à Séville après un exil français pour fuir les éventuelles conséquences sur la grande bourgeoisie à laquelle ils appartenaient de la Révolution de septembre 1868 qui vit l’exil forcé de la reine Isabelle II (en France aussi) et qui déboucha sur le Sexenio democrático. Là, ils investirent dans des milliers d’hectares de terres agricoles, en particulier sur le municipio de Guillena. Comme tant d’autres nouveaux nobles de l’époque, les Parladé ont certainement profité de la politique de desamortización du milieu du XIX° siècle. Les terres du clergé ayant été vendues lors de précédentes opérations de la sorte quelques années auparavant, ne restait à mettre en vente que les plus mauvaises terres des communes de cette partie de l’Andalousie. L’objectif des gouvernements était d’offrir un accès à la terre à de petits paysans qui se rendirent vite compte que leur bien ne valait pas un kopek quand il s’est agi d’y faire pousser des cultures. Bien vite alors, les grandes familles de la haute bourgeoisie récemment ennoblies ont racheté ces terrains pour y mener de grands élevages dont des toros de lidia. En ce sens, on trouve des similitudes intéressantes entre les famille Ybarra, Murube ou Parladé pour ne citer qu’elles.
Au sein de la fratrie des Parladé, c’est son frère aîné Andrés Parladé y Heredia, troisième comte de Aguiar, qui a fait traverser le temps au patronyme Parladé. En effet, il fut un peintre reconnu, inscrit dans le mouvement du Costumbrismo et dont certaines oeuvres sont aujourd’hui exposées dans de nombreux musées comme celui d’Orsay à Paris. On lui doit toute une série de tableaux consacrés à la tauromachie, des portraits pour la plupart. Nous le verrons aussi, Andrés Parladé y Heredia fut également ganadero de lidia au début des années 1910. D’ailleurs, si elle tenait une partie de sa fortune d’activités industrielles menées à Málaga, la famille Parladé n’était pas étrangère à l’élevage et son déménagement à Séville renforça cette appétence. En 1879, le père de Fernando, Andrés Parladé y Sánchez de Quirós, publia un ouvrage consacré aux chevaux et intitulé : El Caballo, Historia, Origen, razas. Mais, avant Fernando, de toros, point !

Fernando Parladé y Heredia devient ganadero en 1902, année de la mort de son père. Bien après son décès survenu en 1928, certains écrivains taurins ont affirmé que son afición était telle qu’il avait bataillé toute sa jeunesse auprès de son géniteur pour que ce dernier investisse dans une ganadería de lidia mais que la réponse paternelle fut une fin de non recevoir pour la simple et bonne raison que le monde des toros lui était indifférent. Vrai ou faux, Fernando Parladé achète une ganadería lorsque son père quitte ce monde et jette son dévolu sur l’élevage de José Clemente (mélange de sangs d’origines Vázquez, Cabrera et Gallardo). Le moins que l’on puisse écrire est que cette décision fut un parfait échec, du moins à court terme. Jugez plutôt. Dans un entrefilet publié dans la revue Sol y Sombra du 25 juin 1903 (n° 346) est écrit que : « El intelligente aficionado extremeño D. José García Becerra, ha adquirido la ganadería que hace poco tiempo compró D. Fernando Parladé al Sr. Clemente ». Moins d’un an après son achat, Parladé revend donc son bétail. Beaucoup ont écrit qu’il l’envoya au matadero mais au final, abattoir ou vente à García Becerra, la conclusion fut la même pour lui, son nom était associé à un échec retentissant qu’évoque la revue Don Jacinto du 25 mai 1903 (n° 11) en ces termes peu amènes : « en est plaza estrenaron la nueva ganadería de un tal señor Parladé que resulto una desdicha, pues llevaron fuego cuatro de los seis ! ». Ainsi donc, les ambitions ganaderas de Parladé furent d’abord douchées par ce faux pas et l’on imagine aisément le charmeur qu’était Parladé se sentir fort marri de la situation et désireux de corriger sa copie pour inscrire le nom de Parladé au panthéon des grands éleveurs de toros.
À la fin de l’année 1903 ou au début de 1904, Fernando Parladé achète une des deux parts (l’autre fut achetée par Manuel Fernández Peña qui la revend en 1905 au conde de Santa Coloma) de l’élevage que la famille Ibarra détenait depuis le début des années 1880; élevage qui avait été acquis par la famille, sous le prénom d’Eduardo, à Dolores Monge, veuve de Murube. Ainsi, plus de 400 têtes de bétail rejoignaient les terres des Parladé. Le nouveau ganadero entreprit, semble-t-il, un laborieux travail de sélection, aidé dans cet ouvrage, d’après plusieurs sources, par le mayoral « Antoñillo » de l’élevage d’Ibarra qui avait suivi le bétail chez Parladé. Ce sont ces hommes, les conocedores, qui sont les véritables passeurs du patrimoine des élevages braves. Les Ibarra migraient de la finca « Cascareja » des Ibarra pour la Hacienda del Rosario à l’entrée est de Séville.

Fernando Parladé fut-il un grand éleveur ? La question a taraudé et divisé nombre d’auteurs taurins depuis la revente de l’élevage à la famille Gamero Cívico en 1914. Et le consensus n’est pas à l’ordre du jour tant la figure de Parladé semble dominée, dans sa vie personnelle en tout cas, par une forme d’inconstance et de légèreté que d’aucuns superposent assez facilement sur son oeuvre de ganadero. Il n’est pas question ici-même de gloser ou de disserter sur la vie que mena Fernando Parladé hors des arcanes du campo. Séducteur, féru de conquêtes féminines autant que de théâtre et de spectacles, « bringueur » invétéré dans la Séville de la fin du XIX° siècle (initié semble-t-il par Fernando de la Concha y Sierra) ; homme de provocations dans un milieu peu prompt à les apprécier, dépensier, noceur, esthète coiffé d’un chapeau melon, Fernando Parladé a brûlé sa vie par les deux bouts et sa fortune avec. Il décède en 1928 dans la posture d’un paria rejeté de tous et de toutes, sans argent ni descendance. Un petit-neveu raconte qu’il entretint une chanteuse italienne, l’on écrit qu’il ne se prêtait guère aux coutumes camperas, laissant ces labeurs aux hommes qu’il payait pour s’en charger. On le comprend aisément, Parladé dénotait dans les milieux de la très haute bourgeoisie andalouse. On y verrait presque un esprit libre, libéré de son temps et de ses contraintes mais d’un autre côté peut-être aussi un enfant gâté et capricieux qui ne sut pas se conformer aux conseils prodigués par son père au soir de sa vie. Mais c’est l’éleveur qui nous intéresse et dans cet exercice, bien malin celui capable de porter un avis définitif sur son ouvrage. Parladé n’est resté qu’une petite dizaine d’années à la tête de ses Ybarra, était-ce suffisant pour améliorer encore un troupeau déjà reconnu pour ses qualités ? N’a-t-il été qu’un continuateur ? Sa sélection à lui est-elle seule à même d’expliquer le succès de sa camada dans les années qui suivirent sa « chute » ? Qu’achetaient-ils ces Correa, Tamarón ou Gamero Cívico ? Le travail de Fernando Parladé ou celui des Ybarra avant lui ? Dans un petit livre fort intéressant intitulé Fernando Parladé : creador o continuador ; origen o sucesión ; tratante o ganadero, l’auteur, Victor Pérez López dresse un bilan assez complet des 247 toros lidiés par Parladé à partir de 1907 et jusqu’en 1914. Il s’appuie sur des reseñas de l’époque extraites de revues taurines comme Arte taurino, El Toreo ou Sol y Sombra. Les enseignements qu’il en tire sont intéressants. Plus de la moitié des toros de Parladé étaient considérés comme bien présentés et 119 d’entre eux s’avérèrent bravos (à l’époque c’est l’épreuve des piques qui prime). Seulement 23 furent considérés comme mansos et aucun ne reçut l’indignité des banderilles de feu. Parladé remporta plusieurs fois les corridas concours auxquelles participèrent ses bichos. Ce fut le cas pour ‘Bilbaíno’ à Séville en 1907 et ‘Hurón’ à San Sebastián en 1912. Ce qui saute aux yeux à la lecture des faits répertoriés par l’auteur, c’est que Parladé ne fut pas prophète en son pays. Andalou, il ne fit jamais combattre de corridas dans sa communauté mis à part ce toro de concours à Séville en 1907 et une corrida complète à Cádiz en 1908. Le reste se concentre essentiellement dans le nord de l’Espagne avec comme plazas talisman celles de San Sebastián et Bilbao. En France, seule Nîmes eut le bonheur de recevoir des Parladé en 1908. Dernier point mais qui n’est pas le plus anodin, Parladé n’était pas un « industriel » de la production de toros. Sa saison la plus remplie fut celle de 1913 avec 40 toros combattus quand 1909 correspond à celle de moins d’importance avec seulement 17 toros ce qui est peu. Même s’il fut décrié par certains au tout début de ses aventures ganaderas, il semble que Parladé ait pris avec sérieux le travail de sélection opéré sur ses Ibarra. Quand il vend en 1914 à Gamero Cívico, son bétail est de qualité et il semble qu’il ait réussi à au moins conserver les bons gènes des Ibarra. En guise d’ultimes preuves apportées à ces réflexions, il convient d’observer les ventes opérées par Fernando Parladé à d’autres éleveurs entre 1905 et 1914. Car en l’espace de cette petite dizaine d’années, il furent finalement nombreux à venir faire leurs courses dans la Hacienda del Rosario de Parladé. Le premier fut son ami Francisco Correa dès 1904 ou 1905. Lui, semble-t-il au regard des dates, récupère une partie du desecho issu de la sélection opérée par Parladé sur le bétail acheté à Ibarra. En effet, sur les 430 têtes de bétail acquises, Parladé réduit l’ensemble à 250 et vend à Correa 80 vaches et un étalon, ‘Bandolero’. Cette ligne Correa sera acquise en septembre 1915 par Felix Moreno Ardanuy avant que celui-ci ne devienne le récipiendaire des marquis de Saltillo en 1918 et ne cède ses Ibarra / Parladé à Antonio García Pedrajas la même année. Durant les années 1910, Parladé améliore son bétail ce qui ne manque pas de susciter l’intérêt de certains confrères. C’est ainsi qu’il vend des mâles aux héritiers de Vicente Martínez, qui, par cette opération de rafraîchissement, renforcent et confirment l’influence de ‘Diano’ sur leur vacada à dominante Jijón. De même, Florentino Sotomayor en 1915 ou Eloy Lamamié de Clairac repensent leurs élevages respectifs avec des machos de Parladé. En toute logique enfin, il n’est pas délirant d’imaginer que le propre frère de Fernando Parladé, le comte de Aguiar, constitua son troupeau avec le bétail de Fernando. On retrouve dans un numéro de la revue Arte taurino de 1912 un reportage réalisé dans la finca El Serrano à Ronquillo, propriété du conde de Aguiar. Cependant, l’élevage ne survécut que quelques années. En 1908, Fernando Parladé essaima un peu plus son patrimoine bravo en cédant des bêtes à un certain Manuel Rincón qui réitéra l’opération en 1912 puis en 1913. Cette année-là d’ailleurs, Rincón acheta à prix d’or le semental ‘León que Parladé utilisait sur ses propres vaches depuis 1911. De ce nouvel élevage pur Parladé (mais cette version officielle n’est pas acceptée par tous les historiens des ganaderías) naîtra quelques années plus tard la ligne Nuñez. C’est en 1911 et 1912 (on trouve aussi la date de 1910) que la vente qui dans le temps aura le plus d’influence sur la cabaña brava se réalise. En deux camadas d’eralas et trois étalons, ‘Serranito’, ‘Mochuelo’ et le célèbre ‘Alpargatero’, Fernando Parladé cède un cheptel qui s’avèrera exceptionnel entre les mains des fils de la marquise de Tamarón, les Mora-Figueroa. L’histoire est connue, immenses éleveurs, les Mora-Figueroa abandonnèrent leur trésor Parladé au conde de la Corte en décembre 1920. De ce dernier viendront au monde les Atanasio Fernández et surtout les Domecq qui dominent aujourd’hui outrageusement les encastes contemporains. Enfin, et mise à part la vente de reproducteurs à Villamarta en 1914, la destinée des Parladé s’achève durant l’année 1914 pour renaître immédiatement sous la coupe de la famille Gamero Cívico. Personne ne semble pouvoir répondre à la question du pourquoi de cette vente qui comportait le fer et les livres de sélection. Toujours est-il que les Gamero Cívico eurent à briser plusieurs tirelires si l’on en croit cette brève parue dans la revue La Lidia en août 1914 : Don Fernando Parladé le ha vendido la ganadería á Gamero Cívico. Sí, y en un buen precio según dicen. A más de mil pesetas cabeza, comprendidos machos y hembras de todos edades. Parece que no llegan á 600 las reses, y que el dinero ha pasado de 600 mil pesetas. Fernando Parladé ne réapparaîtra plus dans le monde taurin. Son chapeau melon a disparu dans les brumes d’une vie consacrée aux plaisirs et à la légèreté. Il décède en 1928, dans la solitude, la ruine et l’oubli. Pas une ligne ou si peu alors même que son nom est encore porté haut par des toros de combat.

 
 

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