Murube
Murube

 

Murube ! Si ce patronyme est aujourd’hui principalement associé à un encaste essentiellement combattu dans des corridas à cheval, s’il existe encore sur les terres de « La Cobatilla » à Utrera une ganadería nommée Murube mais somme toute assez réduite aujourd’hui, il convient de mesurer à quel point la famille Murube a influencé l’histoire de l’élevage brave au XIX° siècle et au début du XX°. L’écrasante majorité des ganaderías actuelles doit son existence à ce que créa Dolores Monge Roldán au milieu du XIX° siècle. Son élevage est le point de départ des ramifications les plus importantes de la cabaña brava contemporaine : Parladé, Gamero Cívico ou Santa Coloma pour ne citer que les plus «fondamentales ».




À partir de 1864, apparaît sur les cartels taurins le nom d’un nouvel élevage intitulé : « Doña Dolores Monge, viuda de Murube ». En vérité, à l’époque, le patronyme Murube n’est pas encore tout à fait figé. On trouve Muruve voire même Moruve. Si l’on en croit certains historiens, le passage du Muruve originel au Murube final se serait fait durant la première moitié du XIX° siècle, au moment où la famille s’installa en Andalousie. Car les Muruve, comme tant d’autres grands noms aujourd’hui associés à l’Andalousie, étaient originaires du nord de l’Espagne. C’est un certain Lucas Muruve Llerena qui migra en 1761 de sa Rioja natale (né à Ollauri) vers Los Palacios. Lucas était le père d’au moins trois fils : Francisco Murube Álvarez, né en 1792, Juan José Murube Álvarez et Faustino Murube Álvarez. En 2002, Antonio Luis López Martínez a publié un ouvrage passionnant intitulé Ganaderías de lidia y Ganaderos : historia y economía de los toros de lidia en España dans lequel il évoque la réussite économique de la famille Muruve et particulièrement celles de Francisco Muruve Álvarez. D’après ses recherches, ce Murube Álvarez était propriétaire de très nombreuses terres autour d’Utrera et de Los Palacios dont les fincas aujourd’hui mythiques de Juan Gómez et de El Toruño. L’auteur évoque une fortune de 1 443 200 reales estimée lors d’un inventaire de 1839 ; fortune convertie l’année de son décès, en 1856, en 5 349 593 reales. Francisco Muruve Álvarez avait réussi sa vie d’entrepreneur et d’éleveur mais principalement de chevaux comme l’ensemble de la famille dont on retrouve les différents fers dans un ouvrage daté de 1885. Quand il décède en 1856, il est le père de dix-sept enfants ! D’un premier mariage, Francisco Murube Álvarez est le géniteur de quatorze enfants mais ce sont ses secondes noces qui nous intéressent ici, celles contractées avec Dolores Monge Roldán en 1839. De cette seconde union viendront au monde trois fils : Felipe Murube Monge, Faustino Murube Monge et Joaquín Murube Monge. Il semble assuré que Francisco Murube Álvarez ne fut pas ganadero de bravos (quoique) et que la famille fit son entrée dans le monde taurin par l’entremise et la volonté de Dolores Monge, viuda de Murube.
Dolores Monge Roldán, veuve de Francisco Murube Álvarez, perpétua l’œuvre de son défunt époux en agrandissant le patrimoine terrien de la famille. López Martínez fait référence à plus de 2000 hectares de terres achetées par la veuve entre Utrera et Los Palacios. Tant Dolores Monge qu’avant elle son époux et la famille de celui-ci ont profité du mouvement de desamortización qu’ont connu les terres espagnoles au cœur du XIX° siècle. La vente des biens de main-morte principalement issus des ordres ecclésiastiques mais aussi de vieilles familles de l’aristocratie du pays a permis l’enrichissement foncier de quelques grandes familles, en particulier en Andalousie : ceux que l’on nommera les « latifundiaires ». Si l’objectif initial était d’enrichir l’État mais aussi de permettre à une bourgeoisie locale d’accéder à la grande propriété, ce fut un échec. En effet, les terres ont été concentrées entre quelques grands noms de la très haute bourgeoisie rurale et urbaine de l’époque ; noms qui étaient souvent très liés à de vieilles familles portant des titres de noblesse. Au-delà de l’acquisition de terres, la nouveauté qu’apporte Dolores Monge est l’achat de bétail brave durant l’année 1863. Pour ce faire, la dueña opère en deux temps, en l’espace d’à peine deux mois et se sert dans l’héritage de ce qui fut la ganadería du Conde de Vistahermosa. Tous ceux qui ont écrit sur l’histoire du bétail brave semblent à peu de choses près s’entendre sur la chronologie. Ainsi, le 27 avril 1863, Dolores Monge achète quasiment la totalité de la part que Manuel Suárez Jiménez avait héritée de son père Manuel Suárez Cordero. Ce dernier était un ganadero qui, en 1828 ou 1829, avait acquis du bétail auprès de Isabel Montemayor, veuve de Picavea de Lesaca. Pedro José Picavea de Lesaca y de los Olivos était propriétaire depuis 1827 d’une part de la « testamentaria » du Conde de Vistahermosa après avoir acheté celle-ci à Salvador Varea qui la détenait depuis 1823. En 1850, alors propriétaire de ces « lesaqueños », Manuel Suárez Cordero décède et son élevage est divisé en deux lots : un est récupéré par sa fille Manuela Suárez Jimenez, épouse du ganadero Anastasio Martín qui agrandit ainsi son troupeau. La seconde part tombe donc entre les mains de son frère, Manuel Suárez Jiménez qui s’en défait treize ans plus tard au profit de Dolores Monge, veuve de Murube. Le 10 juin 1863, Dolores Monge fait de nouveau sonner les pièces d’or : elle achète environ un tiers de la ganadería de José Arias de Saavedra y Ulloa. Certaines sources évoquent plus de 300 têtes de bétail, d’autres « seulement » 200 vaches et 50 mâles. En 1823, Juan Domínguez Ortíz, surnommé le « Barbero de Utrera » achète une des parts de l’élevage du Conde de Vistahermosa. Quand il décède en 1834, ses seuls héritiers sont ses petits-enfants mais ils sont mineurs et c’est donc son gendre, José Arias de Saavedra y Ulloa, veuf de la fille de Domínguez Ortíz décédée en 1829, qui devient le tuteur légal de l’héritage. Aristocrate, maestrante depuis 1805, il semble de notoriété publique qu’Arias de Saavedra préféra profiter de la vie de veuf célibataire plutôt que de s’occuper de ses terres et de ses toros. Vrai ou faux, ces derniers furent confiés aux bons soins d’un conocedor nommé Juan Gómez ; c’est lui qui en fit les « Saavedras » de grande réputation. La ganadería d’Arias de Saavedra combattit pour la première fois à Madrid le 17 juillet 1837. L’ancienneté du Barbero de Utrera était perdue car Saavedra décida d’utiliser son propre fer. À la fin de sa vie, Arias de Saavedra entreprit de vendre son troupeau. Un tiers fut donc acheté en 1863 par Dolores Monge Roldán qui ajoute les Saavedras aux Suárez et réunit ainsi deux lignes directes de la division du Vistahermosa : la ligne Varea / Picavea de Lesaca et la ligne Barbero de Utrera / Saavedra. Deux mois avant son décès, en 1865, Arias de Saavedra se libère du reste de la ganadería au profit de Ildefonso Nuñez de Prado. Dans une étude exhaustive écrite par feu l’aficionado madrilène Joaquín Monfil, ce dernier avance l’idée qu’avant son décès en 1856, Francisco Murube Álvarez aurait été le premier à acheter du bétail à Arias de Saavedra, devenant ainsi le vrai fondateur de l’élevage brave des Murube. À notre connaissance, aucune source ne permet de valider cette hypothèse aujourd’hui. Dolores Monge présente son bétail pour la première fois le 24 mai 1864 dans la Plaza de toros de Ronda où le toro ‘Marismeño’ enchante le public : d’après les chroniques et la légende qui s’en suivit, l’astado aurait pris 51 piques et tué 11 chevaux ! Les débuts de la ganadera sont marqués aussi par les hésitations dans le choix des devises. Ainsi, l’ancienneté à Madrid est acquise en avril 1868 avec une devise rosa y caña, a priori la même que celle utilisée par Manuel Suárez Jiménez. Au cartel : El Tato, Gordito et Frascuelo. Néanmoins, le 13 octobre 1872, la viuda présente les couleurs encarnada y negra pour revenir le 18 octobre 1874 à l’oriflamme de 1868. Au final, l’élevage de Murube adopta définitivement la devise encarnada y negra

De 1863 à 1884, Dolores Monge demeure à la tête de son élevage aidée par ses fils Felipe, Faustino et Joaquín Murube Monge. Le rôle de chacun n’est pas tout-à-fait clair même s’il semble que Felipe fut à la tête des tâches administratives quand le ganado fut laissé aux soins de ses frères. Pour autant, tout reste flou, en particulier en ce qui concerne la transmission de la ganadería à la mort de Dolores Monge en 1884. Personne ne s’entend à ce sujet et deux versions dominent. La première voudrait qu’après le décès de la veuve Murube, l’élevage fut divisé en trois lots équivalents, un pour chaque fils. Selon cette version, en 1885 (ou même dès 1884), Felipe et Faustino, les deux aînés, auraient vendu leur part à Eduardo Ybarra y González (on trouve aussi Ibarra), riche propriétaire andalou. Joaquín, quant à lui, demeurait avec sa part, la devise et le fer familial des Murube. Néanmoins, dans un ouvrage intitulé Vademecum Taurino et publié en 1909, les auteurs avancent une autre idée selon laquelle Dolores Monge confia de son vivant les rênes de l’élevage à Faustino, le deuxième fils, qui aurait assumé cette charge jusqu’en 1889, date à laquelle il aurait vendu ses parts à son cadet, Joaquín Murube Monge. Tant Areva dans Ganaderos de antaño que Filiberto Mira dans son El Toro bravo confirment que Faustino, à un moment donné, vendit ses parts à son frère Joaquín pour le laisser seul aux commandes du fer de Murube. La version proposée par le Vademecum Taurino de 1909 n’est pas dénuée de sens quand on s’intéresse aux cartels taurins de l’époque. On trouve en effet plusieurs mentions pour annoncer les Murube après 1884 et le décès de la veuve : Murube tout seul mais aussi et souvent Murube suivi de la mention « antes Dolores Monge, viuda de Murube ». Cependant, dans le cartel annonçant les corridas de Valladolid en septembre 1890, les élevages présents sont : Saltillo, Conde de la Patilla, Veragua et Faustino Murube, mention qui n’apparaît plus du tout après 1890 où l’élevage devient celui de Joaquín Murube Monge. Il semble certain que les deux frères ont eu chacun sur l’élevage une réelle influence et / ou un vrai pouvoir décisionnel.
Mais il semble certain aussi que ces deux versions ne supportent pas totalement la réalité implacable de la chronologie car la vente à Eduardo Ybarra González n’eut pas lieu en 1885, pas plus qu’elle n’eut lieu en 1884 mais c’est bien en 1883 que les Murube cédèrent une partie du troupeau à la famille Ybarra alors même que Dolores Monge Roldán était encore en vie. Pour preuve, voici ce qu’annonçait la revue El Arte de la lidia dans son numéro 40 daté du 8 octobre 1883 : « El día 18 del corriente [...] tendrá lugar en Jaén una corrida de toros. Se lidiarán seis bichos de la renombrada ganadería de Doña Dolores Monge, viuda de Muruve, hoy de la propriedad del Sr. Eduardo Ibarra de Sevilla ». Alors qui réalisa la vente ? Dolores Monge elle-même ? Ses fils ? Un de ses fils ? Il conviendrait d’avoir accès à l’acte de vente pour apporter une réponse ferme et définitive mais en l’état, seules de vagues supputations peuvent être avancées. Une hypothèse probable pourrait être la suivante : avant sa mort, il semble que Dolores Monge Roldán opéra la division de ses biens entre ses trois fils et chacun reçut sa part de l’élevage. Certains auteurs écrivent que ce fut Faustino qui constitua les trois lots quand d’autres soutiennent l’idée que l’aîné, Felipe, reçut la moitié de la ganadería, l’autre moitié étant divisée en deux parts allant à Faustino et Joaquín. Dans l’étude menée par Julio Fernández et Javier Cañon au début des années 2010, ces deux auteurs écrivent dans le chapitre consacré à l’histoire des encastes que la part de Felipe représentait bien la moitié de l’élevage et que cela est inscrit dans les archives historiques de l’U.C.T.L. Ce qui semble probable est que Felipe vendit, du vivant de sa mère donc, sa part à Eduardo Ybarra González. Quand Felipe vend à Ybarra, c’est Faustino qui semble diriger l’élevage et qui poursuivra après le décès de sa mère, en association avec Joaquín Murube Monge. Pour autant, si l’on en croit les récits du grand Luis Fernández Salcedo compilés dans son remarquable Cuentos del viejo mayoral, Faustino aussi quitta le navire familial pour caboter du côté de chez Ybarra quelques années plus tard. Dans le texte intitulé « Alcuchillo, de Ibarra », le célèbre conteur raconte de quelle manière Faustino vendit sa part à Ybarra sans prévenir son frère Joaquín : « Al parecer, las cosas sucedieron de este modo. La ganadería de Murube era superiormente llevada por don Joaquín, allá por el año 84. Su hermano don Faustino estaba oscurecido, cosa que le cosquilleaba un poco el amor proprio, pues él se consideraba tan capaz, por no decir más. Un día se lé occurió proponer a Eduardo Ibarra que comprase la mitad de la vacada. Era dicho señor un hombre de negocios, principalmente navieros, muy rico y, entre otras muchas ocupaciones, senador del reino y jefe del partido conservador de Sevilla, lo cual daba mucho que hacer. Ibarra le dijo que no podía dedicar al asunto tiempo suficiente, y entonces don Faustino le dijo : « Aquí estoy yo », y se puso al frente de la ganadería desde el primer momento ». D’après Salcedo toujours, Ybarra revendit même son élevage à l’époque de la mort de Faustino Murube Monge survenue en 1905 car il se trouva fort démuni dans la gestion de sa ganadería. D’autres plumes, les plus nombreuses, expliquent plus simplement que Faustino se désintéressa des toros et vendit sa part de l’élevage à son frère Joaquín vers le terme des années 1880. À la fin, seuls Dolores Monge et ses trois fils connaissent la vérité de cette succession. L’histoire a retenu que l’élevage de Dolores Monge viuda de Murube fut en partie vendu à Eduardo Ybarra González vers le milieu des années 1880 et que Joaquín Murube Monge devint le patron de la partie demeurée sous le fer de Murube.

Les frères Murube Monge ne se sont pas contentés de mélanger les lignes Varea et Barbero de Utrera sur leurs terres et de les laisser se développer sans y apporter leur marque propre. D’après certains historiens de l’élevage brave, et en particulier d’après Filiberto Mira, les Murube favorisèrent clairement la ligne Barbero de Utrera au détriment de celle achetée à Manuel Suárez Jiménez : conste que los de Suárez, decimos que tambien « Vistahermosa » porque en ellos había sangre « lesaqueña », que no se continuó por los Murube que mantuvieron y mejoraron lo « saavedreño ». Si cela est vrai, cela suppose qu’il existait de réelles différences entre les deux lignes issues de Vistahermosa dès le milieu du XIX° siècle. Les divers commentateurs taurins qui ont écrit sur l’élevage de Murube à la fin du XIX° ou au début du XX° évoquent des pelages negros, cárdenos et chorreados ce qui ne laisse pas de nous surprendre aujourd’hui, au regard de ce qui reste du Murube, passé entre les mains des Urquijo au XX° siècle, c’est-à-dire un pelage dramatiquement noir. À partir des années 1890 et jusqu’à son décès le 16 avril 1901 à Séville, les toros de Murube furent façonnés par le plus jeune des frères : Joaquín Murube Monge. Reconnu comme un très grand éleveur et un exigeant « sélectionneur », Joaquín Murube Monge a semble-t-il désiré réduire un peu le tamaño de ses Vistahermosa. C’est du moins ce que laisse entendre un article publié en 1915 dans la revue La Lidia. Comparant les toros de Murube et ceux d’Eduardo Ibarra, « Hache » écrit que : « Aun cuando los Ibarras (hermanos , como es sabido, de los Murube), no era de gran alzada cuando adquirió la vacada D. Eduardo, este señor propúsose agrandarlos y lo consiguió quizá más de lo corriente.{...} Bueno se diga eso respecto á los de Murube y esto porque su dueño los prefiere pequeños ». Dans un autre ordre d’idées, Manuel Serrano García-Vao, « Dulzuras », affirme qu’entre « les mains de don Joaquín, les toros de Murube ont acquis une telle réputation que l’on peut affirmer qu’ils sont les meilleurs d’Espagne. Braves, nobles, durs, fins et porteurs de toutes les qualités attendues chez un toro de lidia ». Durant le règne de Joaquín Murube Monge, la principale vente réalisée par l’élevage fut celle opérée auprès du Portugais Luiz Xavier da Gama en 1897. Cette année-là, Luiz da Gama casse le portefeuille et achète à la famille Murube entre une trentaine et une quarantaine de femelles (des vaches approuvées en tienta chez Murube en 1897 et des becerras) et en rajoute une douzaine en 1898. Avec ces reproductrices, Gama réussit aussi à obtenir des mâles à prix d’or entre 1897 et 1901. Les sources de l’époque sont unanimes sur ce fait : les Murube coûtaient cher, le prix de 5000 pesetas est avancé pour chaque étalon. C’est d’abord ‘Cucharero’ qui couvre les vaches Murube de Gama durant un printemps puisqu’il sera finalement combattu le 30 mai 1898 à Cáceres. Ensuite, ce sont ‘Malagueño’, ‘Bravio’ et ‘Ave frio’ qui fixeront les caractères de l’élevage de Gama. Les Gama donnèrent naissance plus tard à la ganadería d’Antonio Pérez Tabernero dit de San Fernando. À noter également que Murube vendit des bêtes à la fin des années 1890 (on trouve 1896 ou 1897) à un certain Valentín Collantes.
Joaquín Murube Monge ne profita pas très longtemps de se trouver seul à la tête de l’élevage. Il décède en avril 1901 et, officiellement, c’est son fils, Joaquín Murube Escribano, qui hérite du fer, de la devise et du bétail mais en vérité l’élevage demeure entre les mains de la veuve de Joaquín Murube Monge et mère de Joaquín Murube Escribano : Tomasa Escribano Roca. Le 18 mai 1905, à seulement 33 ans, trépasse à son tour Joaquín Murube Escribano. Il a trois enfants dont un fils, Joaquín Murube Turmo mais qui est mineur lorsque son père est enterré. C’est donc la « veuve mère » Tomasa Escribano Roca qui reprend les rênes de la ganadería ; rênes qui n’avaient jamais vraiment été abandonnées depuis le décès de son époux en 1901. Pour la deuxième fois de l’histoire, l’élevage des Murube est annoncé : « Viuda de Murube ». Dans son labeur de ganadera, Tomasa Escribano Roca fut aidée par un homme dont le nom est demeuré lié à l’histoire taurine à propos d’un autre élevage né au début du XX° siècle, celui du Conde de Santa Coloma. Cet homme était le gendre de Tomasa Escribano, Manuel Fernández Peña, époux de Concepción Murube Escribano, fille de Tomasa Escribano. Fernández Peña est donc surtout connu pour avoir acheté vers 1904 la moitié de l’élevage d’Eduardo Ibarra, l’autre moitié revenant à Fernando Parladé. Étonnamment, il revendit presqu’aussitôt son bien au Conde de Santa Coloma en 1905 après avoir fait lidier à son nom propre durant toute la temporada 1905. Ce qui semble être moins connu concernant Fernández Peña est le fait qu’il s’occupa de la ganadería de Murube aux côtés de Tomasa Escribano à partir de 1906. Il est aisé de trouver des mentions évoquant son rôle au sein de l’élevage et certaines le donnent même comme le nouveau propriétaire de la vacada. C’est par exemple le cas de l’ouvrage Guia taurina de Juan Manuel Rodríguez qui, en 1906, écrit que la ganadería « es hoy la propriedad de D. Manuel Fernández Peña quien, dicho sea en honor de la verdad y de la justicia, sabrá mantener su rango y esplendor y á ser necesario, llegaría á mejorarla... ». La coïncidence de sa présence dans les élevages Ibarra et Murube au même moment est trop grande pour ne pas se poser certaines questions : pour quelle raison Fernández Peña a-t-il acheté la moitié de l’élevage de Ibarra ? A-t-il utilisé des Ibarra sur les Murube de sa belle-mère avant de les revendre à Santa Coloma ? Lorsqu’il acquiert les Ibarra, en 1904 certainement, le beau-frère de Fernáñdez Peña, Joaquín Murube Escribano, est encore en vie et héritier de l’élevage depuis la mort de son père en 1901. Peut-être Fernández Peña voulait-il se faire un nom propre dans une famille déjà renommée ? On peut cependant imaginer que le décès de Joaquín Murube Escribano en mai 1905 a rebattu les cartes de ses rêves personnels et l’a contraint à venir donner un coup de main à sa belle-mère. Mener de front deux élevages était certainement difficile et coûteux et cela pourrait expliquer que Fernández Peña ait revendu si vite les Ibarra à Santa Coloma. D’aucuns avancent aussi les problèmes financiers rencontrés par la famille Murube ; problèmes peut-être comblés par la vente à Ibarra. Au-delà de ces hypothèses, rien n’empêche d’imaginer, certains l’ont même écrit, que Fernández Peña piocha dans le troupeau d’Ibarra pour rafraîchir le vieil élevage de Murube.

En décembre 1906, la ganadería de Murube, sous l’influence certainement de Fernández Peña et paraît-il aussi du frère de Tomasa Escribano, procède à une nouvelle vente de vaches (90) et de reproducteurs à Juan Contreras Murillo qui transfère le cheptel acheté de Séville vers ses terres de Badajoz en janvier 1907. Une nouvelle fois, le Murube se diffuse hors des prés de El Toruño ou de Juan Gómez et une nouvelle fois cette vente donnera naissance à un sang qui marquera l’histoire de la tauromachie. Les années 1910 correspondent à la fois à l’apogée et à la décadence des Murube. Apogée parce que les Murube sont recherchés par les figuras de l’époque, c’est d’ailleurs un des élevages les plus combattus par Joselito. Décadence parce que les Murube perdent en bravoure, en poder et en présence au fil des années comme si le ganado avait été laissé au vent durant ces années de l’âge d’or de la tauromachie. C’est la décadence qui l’emporta, comme c’est souvent le cas des grands empires. En 1917, grâce à l’entregent du maestro Joselito ami des deux familles, Tomasa Escribano vend l’élevage (avec fer et devise) fondé par sa belle-mère, Dolores Monge, à Juan Manuel Urquijo qui l’annonce au nom de son épouse : doña Carmen de Federico.

L’élevage construit par la famille Murube à la fin du XIX° siècle et au début du XX° n’existe plus. Un siècle a passé, de même qu’a prévalu la sélection opérée par la famille Urquijo. Le toro negro est devenu dominant – il reste quelques castaños chez Castillejo de Huebra – et ce que l’on nomme aujourd’hui Murube est bien plus le fruit des Urquijo. Si l’on doit réellement chercher l’empreinte de la famille Murube dans l’actuelle cabaña brava, il est peut-être plus judicieux de regarder les descendances de l’élevage de Eduardo Ibarra. Dans tous les cas, la famille Murube a marqué l’histoire de la corrida et de l’élevage brave.

López Martínez, Antonio Luis – Ganaderías de lidia y ganaderos : historia y economía de los toros de lidia en España – Espasa-Calpe, 2002.
‘Areva’ / Vera, Alberto – Ganaderos de antanõ – Madrid, 1959.
Fernández Salcedo, Luis – Cuentos del viejo mayoral – Alcaná Libros, Madrid, 1950.
Mira, Filiberto – El Toro Bravo : hierros y encastes – Ediciones Guadalquivir, 1981.
Redacción de « Sol y Sombra » - Vademecum Taurino – Editor Ginés Carrión, Madrid, 1909.
López del Ramo, Joaquín – Las Claves del toro – Espasa-Calpe, Madrid, 2002.
Rodríguez, Juan Manuel – Guia Taurina – Madrid, 1906. Revue « La Lidia » – 1914-1920

 
 

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