Manuel Rincón
Manuel Rincón

 

Dans la « diaspora » de l’élevage de Fernando Parladé, Tamarón et Gamero Cívico font figure de poids lourds et leur ombre a longtemps occulté les autres lignées et en particulier celles de Pedrajas et de Manuel Rincón y Rincón. Si l’existence des Pedrajas ne tient aujourd’hui qu’à un fil que moins d’une demi-douzaine de ganaderías arrive encore à tendre quelque peu, le destin des Rincón fut lui beaucoup plus flamboyant grâce en particulier aux qualités d’éleveur de leur créateur, Manuel Rincón y Rincón mais aussi par ce que réussit à en faire un de ses successeurs, Carlos Nuñez Manso. Car aujourd’hui, c’est dans l’encaste Nuñez que se maintient l’œuvre entreprise au début du XX° siècle par Rincón. Mais comme souvent en matière d’histoire des élevages de taureaux de combat, faire le récit de ce que créa Rincón nécessite de remonter plus loin dans la chronologie pour saisir au plus près ce qu’étaient les Rincón entre 1908 et 1925.




Dans la « diaspora » de l’élevage de Fernando Parladé, Tamarón et Gamero Cívico font figure de poids lourds et leur ombre a longtemps occulté les autres lignées et en particulier celles de Pedrajas et de Manuel Rincón y Rincón. Si l’existence des Pedrajas ne tient aujourd’hui qu’à un fil que moins d’une demi-douzaine de ganaderías arrive encore à tendre quelque peu, le destin des Rincón fut lui beaucoup plus flamboyant grâce en particulier aux qualités d’éleveur de leur créateur, Manuel Rincón y Rincón mais aussi par ce que réussit à en faire un de ses successeurs, Carlos Nuñez Manso. Car aujourd’hui, c’est dans l’encaste Nuñez que se maintient l’œuvre entreprise au début du XX° siècle par Rincón. Mais comme souvent en matière d’histoire des élevages de taureaux de combat, faire le récit de ce que créa Rincón nécessite de remonter plus loin dans la chronologie pour saisir au plus près ce qu’étaient les Rincón entre 1908 et 1925.

En 1880, dans la province de Huelva, décède Manuel de Valladares y Moya de la Torre. C’est un grand propriétaire terrien descendant d’une famille de potentats locaux d’Aracena. Un de ses aïeux, Tomás Sánchez de Valladares1 avait été regidor perpetuo de cette ville au XVII° siècle tout en étant déjà un agriculteur d’importance autant qu’un éleveur reconnu dans cette zone. À sa mort en 1880, il semble que Manuel Valladares y Moya de la Torre détenait du bétail bravo sur ses terres de la Rivera de las Huelvas. Cela est confirmé par le fait que c’est son bétail — avec trois toros de Balmaseda — qui inaugura les arènes d’Aracena le 14 août 1864. Sa fortune et ses terres atterrirent entre les mains de sa veuve et de ses deux enfants : Manuel Valladares Ordoñez de Ynguanzo et Dolores Valladares Ordoñez de Ynguanzo, épouse de Fernando Calonge de Rueda-Barrera. Le fils est connu pour avoir été le président du parti carliste de la province de Huelva ce qui lui valut la reconnaissance du roi Carlos VII en août ou septembre 1874 par l’octroi du titre de Conde de los Horcajos. Ce sont les initiales de ce titre, un C et un H, qui donneront naissance au fer de Valladares. C’est cette même année 1874 que ce Manuel Valladares Ordoñez de Ynguanzo se porta acquéreur d’une partie de la ganadería qui était annoncée depuis 1869 sous le nom des Hijos de José María Benjumea voire parfois même sous le prénom de l’aîné, Diego Benjumea. Les Benjumea de ligne Vázquez rejoignaient donc les autochtones du père de Valladares Ordoñez dont les origines étaient pour le moins forts troubles. Il étrenna son achat dès le 16 septembre 1874 en présentant ses Benjumea en corrida. Héritier d’une partie du troupeau paternel, Manuel Valladares Ordoñez de Ynguanzo demeura à la tête de sa ganadería jusqu’à sa mort en 1897 — certaines autres sources donnent 1893 comme année de son décès. S’il fut considéré comme un des plus gros éleveurs de la région de Huelva, ses activités politiques et quelques grosses dettes contraignirent sa descendance à vendre une importante partie du bétail en 1897. L’acheteur principal — aux enchères semble-t-il — fut un voisin, José María Ordoñez y Rincón — qui n’avait aucun lien de parenté avec Valladares Ordoñez — dont une fille était l’épouse d’un certain Manuel Rincón y Rincón, originaire de Higuera de la Sierra, à quelques kilomètres d’Aracena.

José María Ordoñez y Rincón est né en 1856 et a consacré une grande partie de sa vie à la politique provinciale. Député puis sénateur du royaume, il lutta en particulier contre les émissions de fumée de pyrite issues des usines de la compagnie « Rio Tinto company limited ». Dans ce contexte, il joua un rôle de premier plan dans la manifestation tragique du 04 février 1888 à Minas de Riotinto, manifestation qui conduisit au massacre surnommé le massacre del año de los tiros. Il était le président de la lutte anti fumées et à ce titre, il participa à l’organisation de ce rassemblement aux côtés de son beau-père, José Lorenzo Serrano, et d’un dirigeant syndical cubain nommé Maximiliano Torné. Chacun d'eux dirigeait une des colonnes de manifestants qui se rendaient à la mairie pour exiger l’arrêt des fumées à l’air libre qui causaient de sérieux dommages de santé publique sur les habitants de la zone. Las, les troupes eurent ordre de tirer pour dissoudre la manifestation et le bilan fut effroyable : il y eut des dizaines de morts parmi les manifestants. Élu maire d’Aracena, il ne put honorer son mandat qu’une année car il décéda en 1906. Grand propriétaire terrien, José Antonio Ordoñez y Rincón acheta donc — peut-être aux enchères — la ganadería de Valladares à l’extrême fin du XIX° siècle mais les faits sont assez confus. Plusieurs ouvrages consacrés aux élevages de taureaux de combat à cette époque font encore état en 1900 de l’existence du fer de Valladares et aucun ne mentionne celui d’Ordoñez y Rincón. De même, entre cet achat et le milieu des années 1900, la gestion de l’élevage paraît trouble. José María Ordoñez y Rincón semblait plus occupé à ses affaires politiques mais son fils Antonio Ordoñez Lorenzo était encore trop jeune — il poursuivait des études — pour se consacrer à plein temps à la ganadería. C’est en tout cas ce que laisse entendre El Consultor taurino2 de 1913. Toujours est-il que le fer de Ordoñez y Rincón se présente dans les années 1910 sous la forme d’un R majuscule dans un cercle et que celui qui le dirige est le gendre d’Ordoñez y Rincón, Manuel Rincón y Rincón.

Fort peu d’éléments de la biographie de ce dernier ont émergé jusqu’à nous si ce n’est qu’il était propriétaire terrien à Higuera de la Sierra, originaire de Zufre et époux de Carmen Ordoñez Lorenzo par le biais de qui il devint éleveur de taureaux braves. Quand son beau-père décède en 1906, l’élevage est hérité pour moitié par la veuve de celui-ci, Paz Lorenzo, et par leur fils, Antonio Ordoñez Lorenzo. Pourtant, rapidement, la part de la mère passe à la fille et donc au gendre Manuel Rincón y Rincón qui fut la tête pensante de cette entreprise brava. Les dates sont parfois confuses mais Rincón rachète semble-t-il la part de son beau-frère en 1908 et s’annonce à son nom propre dans les années 1910 avec une devise celeste, blanca y grana. Si les éléments concernant sa vie privée et familiale sont peu nombreux, il n’en est rien par contre de sa gestion de la ganadería dont il compila les événements les plus précis dans des cahiers conservés aujourd’hui par sa descendance. Il serait contre-productif de dresser la liste exhaustive des bêtes répertoriées par Rincón dans ces cahiers desquels il est bien plus intéressant d’extraire la substance de fonds : malgré ce que beaucoup ont écrit au sujet de cet élevage, les toros de Rincón étaient loin d’être de purs Parladé qui auraient remplacé le cheptel tenu de son beau-père. La réalité de ce qu’il possédait est bien plus complexe et riche sur le plan génétique et elle symbolise remarquablement l’évolution des ganaderías et du toreo dans le premier quart du XX° siècle. À le lire, Rincón donne le sentiment d’avoir marché, tel un funambule, sur le fil acéré qui séparait le passé incarné par la caste vazqueña et le futur dont les toros de ligne Murube / Ybarra / Parladé dessinaient la silhouette. En 1913, Rincón est déjà converti à la nouvelle confession ibarreña et achète des vaches de cette origine à Carvajal en 1911 et 1912. Il réitère l’opération auprès de Parladé en 1912 et 1913. Ces descendantes de Murube sont majoritaires dans son troupeau et elles en représentent l’avenir, Rincón a saisi l’inexorable et intolérable marche vers le « progrès ». Pour autant, il ajoute à ces femelles d’autres acquises auprès de Fernando Villalón de lignée Adalid, c’est-à-dire du Vistahermosa vierge de l’influence Murube / Ybarra. Last but not least, il conserve un lot d’une petite vingtaine de vaches issues du troupeau de son beau-père et descendantes de celui de Valladares donc de belles vazqueñas autrefois estampillées Benjumea. Comme si cela ne suffisait pas pour brouiller les pistes de sa sélection, l’éleveur joue aussi au funambule avec les reproducteurs. Cela commence vers 1907 lorsque Rincón achète à Nandín un toro déjà adulte nommé ‘Mirlito’, toro destiné à ses vaches Valladares puisque le sang de ce Nandín était composé depuis le début du XIX° siècle par un mélange Vázquez / Gallardo que l’on pouvait retrouver par exemple dans les Pablo Romero du tout début du XX° siècle. À ce titre, le novillo qui consacra le talent ganadero de Rincón lors de la novillada sévillane du 14 mai 1916, ‘Palmero’, était un fils de ce ‘Mirlito’. En ce qui concerne son patrimoine Ybarra / Parladé, Manuel Rincón procéda en février 1913 au plus gros investissement de sa carrière d’éleveur : il acheta ‘León’, semental en fonction chez Parladé, pour une somme presqu’inavouable (10 000 pesetas de l’époque). ‘León’ marqua de son empreinte le troupeau au même titre qu’un de ses fils nommé ‘Farruco’. A priori, le ganadero semblait maintenir les deux origines séparées, les vazqueños d’un côté et Ybarra de l’autre. En vérité, au cours des années 1910 puis 1920, il n’eut de cesse de tenter des croisements entre les deux en conservant cependant toujours prégnante l’idée de faire dominer les Ybarra / Parladé par absorption. Au final, dans les années 1920, si l’on peut considérer que le troupeau est largement parladeño, la pureté de cette ligne était loin d’être de mise et il est possible d’imaginer que les pelages assez variés qui pouvaient rappeler le Vázquez originel ne manquaient pas sur les terres de Higuera de la Sierra. C’est une novillada qui permit à Rincón de se présenter à Madrid le 18 juin 1918 avec un mélange assez équilibré des deux lignes.

Pour autant qu’il fut considéré comme un très bon éleveur par de nombreux critiques taurins, Manuel Rincón y Rincón acheva son itinéraire de ganadero en avril 1925 en vendant l’élevage à Juan Manuel Urquijo (qui ne le conserva que trois années). Le troupeau comptait alors environ 400 vaches mais ‘León’ était mort un an auparavant et avec lui la jeunesse du ganadero. Il semble que ce soient avant tout des aléas économiques qui le poussèrent à se séparer de son œuvre dont on sait aujourd’hui qu’elle fut le socle sur lequel s’édifia ce que l’on nomme aujourd’hui le sang Nuñez, du nom de son fondateur, Carlos Nuñez manso, qui récupéra le troupeau auprès d’Urquijo en 1928.

1. Los Toros y la fiesta en Aracena, Rafael Márquez de Aracena del Cid, in Revista de Estudios Taurinos, n° 26, Sevilla, 2009
2. El Consultor taurino, José Becerra y Álvarez & José Neira Otero, 1913

 
 

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