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Dans le milieu taurin du Campo Charro, la famille Sánchez est une institution. Le nombre d’éleveurs de cette famille est incalculable, au point que même ceux qui ne portent plus le patronyme sont de la famille ! Nous nous intéressons ici aux Sánchez y Sánchez issus du couple Juana Sánchez de Carreros et Matías Sánchez-Cobaleda et communément appelés « los de Calzadilla », en rapport à leur finca.
Matías Sánchez-Cobaleda avait débuté comme ganadero avec son frère Arturo, celui des Vega-Villar, en achetant en 1910 l’élevage des fils de Julián Presencio d’origine Raso de Portillo. Mécontents des résultats, les deux frères revendent leur élevage en 1913, Matías renouant immédiatement avec le bravo en achetant l’élevage de Trespalacios. Son élevage était simplement annoncé Matías Sánchez mais jusqu'à sa mort, son nom fut toujours précédé de la mention « antes Conde de Trespalacios », tant il était difficile de faire oublier ce formidable éleveur, ou plutôt cette famille d’éleveurs qu’étaient les Trespalacios. Une réputation qui mérite qu’on s’y arrête quelque peu, même si le lien avec la ganadería actuelle n’est plus qu’histoire.
Originaire de Galice, la famille Trespalacios va écrire son histoire taurine en Estrémadure. Jacinto ouvre la voie en 1870 avec un premier élevage de bravos pour lequel il puise dans le bétail de son voisin et ami Juan Fernández de Trujillo. Les origines du troupeau proviennent de la terre de Castille avec des Jijón du marquis de la Conquista, un éleveur fameux de la région. Installé dans les environs de Trujillo, Jacinto Trespalacios choisit une devise verte et rouge et crée un fer à ses initiales. Il se présente à Madrid une dizaine d’années plus tard, le 29 avril 1883 avec au cartel "Lagartijo", "Currito" et "El Gallo". La course fut fameuse, les toros de Trespalacios prenant 53 piques, renversant 16 fois les chevaux et laissant au sol 18 cadavres. Dès lors, la popularité de la ganadería grandit et, aux alentours de l’an 1885, la devise jouit d’un grand cartel. Cette réussite ne semble pourtant pas suffire à don Jacinto qui puise dans d’autres origines pour renforcer son troupeau. Parmi celles-ci on trouve l’achat intégral de l’élevage du vicomte de Garci-Grande, l’étalon 'Roñoso' de Barrionuevo (origine Murube) et surtout des Veragua acquis en 1883. Peu à peu le sang veragueño prend l’ascendant et Jacinto, sur la fin du siècle, vend les restes de ses toros d’origine Jijón pour donner l’exclusivité au Veragua. À sa mort, en 1900, l’élevage passe à son frère, parfois présenté comme son neveu, Antonio Trespalacios Orellana, troisième comte de Trespalacios. Le comte est très riche, il vit dans un palais à Cáceres et est reconnu comme un grand aficionado. À vrai dire, l’afición, conjuguée à l’argent, fait souvent bon ménage. Fervent adepte des tientas, à une époque où elles sont encore rares, le comte va sélectionner à outrance, parfois à l’excès, et les résultats sont à la hauteur des sacrifices. En une seule décennie, il va faire du nom de Trespalacios une référence, surpassant la réputation de son frère. Les Trespalacios sont bien-sûr connus pour leur présentation remarquable et leur bravoure remarquée, mais aussi pour leur noblesse et leur « bon » comportement en piste. Comprenez que leur sentido était discret et qu'on les qualifiait souvent de « maniables », propos à remettre dans le contexte du début du XX° siècle. À la mort du comte, en 1909, lui succède son fils Diego. Le troupeau comprend alors 300 vaches de ventre aux robes noires, jaboneras, castañas, berrendas et cárdenas. Diego, un jeune homme doué en affaire présente les mêmes convictions que son père. Pour marquer de sa personnalité le troupeau, il entreprend de re-tienter l’ensemble du troupeau comme l’avait fait avant lui son père et étale à qui veut l’entendre les plus hautes ambitions pour sa devise. Une ambition vite annihilée, puisqu’il vend trois ans plus tard l’intégralité de l’élevage à Matías Sánchez-Cobaleda. Sans que le motif de sa débandade taurine ne soit dévoilé.
Matías Sánchez-Cobaleda implante les Veragua de Trespalacios dans le Campo Charro en conservant fer et devise. Les débuts sont prometteurs, le ganadero profitant de l’excellent travail du comte de Trespalacios. Mais, dès le début des années 1920, les affaires se gâtent, les résultats étant de plus en plus irréguliers et ce malgré une présentation qui demeure fidèle à leur réputation. De « très braves » les qualificatifs passent à « manque de nerf », « perte totale de la bravoure », « mansos ». Cependant, les toros de Matías Sánchez sont présents dans toutes les ferias aux côtés des figuras. La devise est une des plus réputées du marché. En 1929, l’année de son décès, la devise fait combattre treize corridas. Des lots complets puisque le ganadero prenait grand soin de préciser dans ses contrats qu’aucun toro de fer distinct ne pourrait être inséré dans les corridas de son étiquette. Une précision qui lui valut d’ailleurs quelques procès. Le troupeau fut divisé en cinq lots, un pour chacun de ses fils : Ignacio, Ángel, Antonio, Arturo et un pour sa veuve. Des cinq, aucun ne conservera la ligne Trespalacios, ce qui en dit long sur la dégénérescence de cette illustre lignée.
Ángel Sánchez y Sánchez ajouta la couleur blanche à la devise de son père et se présenta à Madrid le 14 octobre 1934. Mais il ne tardera pas à substituer ses Trespalacios vieillissants, qualifiés par certains critiques de « bœufs », pour un sang plus en vogue. En 1932, il choisit les Murube de doña Carmen de Federico.
Dans les années 1940, son nouvel élevage commence à faire sa place. Les figuras affrontent régulièrement ses toros et Manolete en est particulièrement friand. C’est précisément dans ce moment de gloire qu’Ángel va choisir de vendre une partie de son troupeau ainsi que son fer à Rafael Romero de la Quintana. Ce qui explique que les droits du fer d'Ángel Sánchez y Sánchez sont aujourd’hui la propriété du Marquis de Albaserrada, successeur de Romero de Quintana. Ángel conserve une portion de son troupeau et maintient le dessin de son fer. La renommée d’Ángel se poursuit et, dans les années 1950, Juan Pedro Domecq a le coup de foudre ! Il prend alors contact avec Ángel qui lui fait une proposition. En homme d’affaire avisé, il lance une offre démesurée pour s’assurer la tranquillité. Mais contre toute attente, Juan Pedro accepte et la quasi-totalité du troupeau d’origine Murube part pour l’Andalousie. Le célèbre 'Desteñido' qui remporta le concours de Jerez en 1955 était un fils d’une vache du fer de don Ángel.
N’ayant conservé qu’une trentaine de vaches, Ángel Sánchez y Sánchez repart de presque rien. Patiemment, il reconstruit une ganadería qui va de nouveau connaître un âge d’or du temps du Cordobés. Depuis 1946 et la vente à Romero de la Quintana, l’élevage n’était plus inscrit au premier groupe. Il va renouer avec le prestige de l’étiquette grâce à l’épouse d'Ángel, Carmen Ramírez Zubano, qui hérita en 1953 de l’élevage de son père Francisco Ramírez y Bernaldo de Quiros. L’origine de ce bétail provenait d’« Espioja » (Lorenzo Rodríguez) mais il va très vite laisser sa place aux Murube de la casa. L’élevage comptera deux fers jusqu’en 1972, date de la vente du fer de Carmen, aujourd’hui propriété des Matilla sous l’appellation de García Jímenez. Dès lors, le seul fer de la casa est inscrit à la discrète « Asociación » connue comme second groupe et la visibilité de l’élevage s’en ressent.
Au décès d’Ángel, c’est son petit-fils, Félix García Cascón qui reprend l’affaire. Fidèle à l’encaste Murube, il renforce en 1993 son troupeau avec un lot de Capea du fer de Carmen Lorenzo, de même origine. Une origine si peu en vogue par les temps qui courent qu'il est obligé de faire lidier pratiquement toute la camada en corrida de rejón.
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