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Pour retrouver l’origine du fer de Peñajara, il faut remonter au début du XX° siècle et à l’élevage de Victoriano Angoso Blanco, l’aïeul de la devise actuelle de Fernando Angoso Catalina.
Victoriano Angoso Blanco avait constitué son élevage de braves en 1908 avec un très vieux sang, comme c’était alors habituel. Concrètement, il s’agit de vaches Veragua et d’étalons de Eulogio Oñoro (vaches Jijón et étalons de Miura). Il s’installe à Villoria de Buenamadre, dans les environs de Salamanque à quelques lieux de la Fuente de San Estebán, et fait rapidement sa présentation à Madrid avec une novillada le 19 mars 1914. Victoriano n’est pas vraiment un homme de la terre, il fait partie du grand monde de Salamanque. Impliqué dans la vie de son pays, il se présentera même aux élections des députés et les nombreuses réceptions à Villoria sont largement commentées dans les journaux de l’époque. Cependant, Victoriano s’avère un excellent éleveur, sachant « voir » l’évolution de la Fiesta. Il se rend très vite compte que son cheptel n’est pas compatible avec les nouvelles tendances de la tauromachie et part en Andalousie chercher deux étalons du marquis de Saltillo. Cet élevage est alors d’une grande réputation et les figuras les affrontent sans réticence. De plus, le pouvoir génétique de cet encaste est extrêmement fort, capable de transformer très vite un élevage. C’est concrètement ce qui va se passer chez Angoso. À partir des années 1920, la critique considère ce bétail comme des Saltillo à part entière et les photos de l’époque ne démentent pas leurs dires. La ganadería jouit alors d’une excellente réputation. À Salamanque bien sûr, mais aussi dans les arènes les plus exigeantes d’Espagne comme Barcelone, Bilbao ou Madrid. Madrid où, en 1924, le toro 'Colillero' fait parler sa bravoure et est récompensé par deux tours de piste posthumes. L’élevage, entré à l’U.C.T.L. en 1910, est l’un des plus réputés de Salamanque, mais aussi un des rares à pouvoir soutenir la comparaison avec ses confrères andalous. Au décès de Victoriano en 1920, ses deux fils lui succèdent. Amador et Manuel Cesaero en profitent pour fortifier leur nouvelle origine en intégrant deux étalons et des vaches Santa Coloma, ainsi qu’un autre étalon de Saltillo. Les bons résultats se poursuivent et, en 1932, les deux frères se séparent. La part de Manuel Cesaero vivra longtemps dans les mains de la famille Molero, avant de finir au matadero pour cause de problèmes sanitaires. Amador, quant à lui, conserve le fer historique mais il vendra en 1934 les droits du fer affilié à l’U.C.T.L. à Rogelio Miguel de Corral.
Avec Rogelio Miguel de Corral nous restons dans le Campo Charro. L’homme était en outre maire de Villavieja de Yeltes et connu pour ses nombreux élevages. Avec le fer d’Angoso transitent quelques bêtes d’origine Santa Coloma – Veragua, le même mélange qui donna les Vega-Villar, les fameux Patas Blancas. Bétail qu’il renforce en toute logique avec des vaches d’Arturo Sánchez-Cobaleda (Vega-Villar). Mais sa sélection se concentra sur les Vega-Villar alors au plus haut de leur forme. Dans les années 1940, le fer annoncé « Miguel del Corral Rodríguez » est en vogue et jouit d’un excellent cartel, en particulier à Madrid. En se cantonnant aux arènes madrilènes de Las Ventas, le palmarès est éloquent : vuelta al ruedo à ‘Cigarrero’ en 1941, à ‘Rosón' et à ‘Braveruco’ en 1945 et le 12 octobre de cette même année, le public oblige le ganadero à faire le tour de piste. Rogelio vend son fer de l’U.C.T.L. en 1951, mais poursuit son aventure avec son fer de seconde jusqu'à son décès en 1961.
Ce qui nous amène à Higuino Luis Severino Cañizal avocat à Madrid qui extirpa l’élevage du Campo Charro pour l'installer sur sa finca de Fuenlabrada. Occupant également des fonctions d’apoderado, il conservera son fer une grosse vingtaine d’années avant de vendre en 1973 à Manuel Rueda Morales. Le troupeau prend alors la direction de la finca “Peñajara” située à Seradilla dans la province de Cáceres. Alors tout change. La devise devient bleu et or, le fer est d’abord redessiné avec les initiales de son propriétaire avant d’être revue avec l’initiale de la finca en même temps que l’élevage prenait son nom : “Peñajara”. Mais surtout le bétail, exit les Vega-Villar qui sont d’abord remplacés en 1975 par des bêtes de Los Campillones puis en 1977 par des Baltasar Ibán. Une origine définitivement renforcée en 1984 avec l’achat d’un autre lot de Baltasar Ibán.
Sous la direction de Manuel Rueda Morales, “Peñajara” se fait un nom. La devise se présente avec ses Ibanes à Madrid le 1er mai 1984. Puis en 1987, le toro ‘Limonero’ inflige un terrible cornada à Joselito en lui transperçant le cou, un toro atypique à qui Curro Vázquez coupa les deux oreilles. En 1997 l’élevage est vendu à José Rufino Martín.
José Rufino Martín est un financier, un monde qui, comme il se plaît à dire, "donne plus de cornadas que les toros". A la différence d'autres financiers-ganaderos, les toros ont toujours fait partie de sa vie, et c'est avec honneur qu'il énonce les noms de ses ancêtres : le torero "El Gordito" et le ganadero José Moreno Santamaría. Fondée en 1890, sur du sang Gallardo, la ganadería familiale a connu de gros succès. Comptant parmi les préférées du grand Joselito "El Gallo", elle fournit son toro d'alternative ‘Caballero’. Mais en 1953, au décès de son grand-père, la famille reste sans successeur et vend la ganadería. Un déchirement qui marque un tournant dans sa vie, puisque depuis ce jour, José Rufino ne cesse de penser à former de nouveau un élevage de bravo. Ceci fut fait pour sa retraite. Le troupeau alors doté de 140 vaches part pour l’Andalousie. Là, il renouvelle la majeure part des vaches de ventre et la totalité des étalons. Puis petit à petit, l'élevage va s'étoffer pour compter jusqu'à 300 vaches.
José est un original. Il a conservé les archives ganaderas familiales où s'accumule un savoir immense mais n'hésite pas à mettre en pratique ses idées, ses hypothèses et ça décoiffe ! Dans ses théories, on trouve tout et n'importe quoi, comme le fait de tienter les femelles à l'âge d’un an, car selon lui la bravoure "elle est là ou pas". José n'en reste pas moins un homme passionné et passionnant. Cependant, l'élevage reste un loisir pour lui et non une nécessité.br>
Après dix ans de travaux, l’élevage monte et entre peu à peu dans les grandes ferias, jusqu'à se forger un belle réputation à Madrid. Mais son originalité et sa liberté de langage ne sont pas des atouts majeurs dans le monde taurin, plus coutumier de la discrétion. Ainsi son premier fracaso, le 25 mai 2014 en pleine San Isidro lui suscita la foudre de la part de la critique et du milieu taurin. L’encierro lidié alors était certes décevant mais surtout invalide avec 2 toros substitués. José Rufino Martín n'assume pas la responsabilité de cet échec et contesta en parlant de drogue administré contre son gré à ses toros, empirant l’effet médiatique et les conséquences. Cette après-midi marquera un arrêt brutal pour l’élevage, qui passe de 33 toros lidiés en 2014 à seulement 7 en 2016 ainsi que la saison suivante. En 2018, déjà âgé et sans potentiel de succession dans sa famille, il vend l’élevage à Antonio Rubio.
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