Guardiola Fantoni
Guardiola Fantoni

 

Guardiola est un des plus grands noms d’éleveurs de la deuxième moitié du XXème siècle. On ressence pas moins de 11 fers qui ont porté le patronyme familial. Parti de rien dans les années 40, Juan et Salvador Guardiola Fantoni vont créer un empire porté par leur famille réciproque, les Guardiola Soto et les Guardiola Dominguez.
Ces derniers présentent la plus grande réussite et longévité. Ce sont eux qui ont enflammé la Real Maestranza de Sevilla lors des Lunes de resaca en prenant l’habitude de faire jouer la musique pour le tercio de pique. Doté de deux encastes, Villamarta et Pedrajas, les Guardiolas ont marqué l’histoire taurine de Séville mais aussi d’Espagne et de France.




Né à Taragonne en 1864, Salvador Guardiola Sunyer n’avait pas pour destin premier de devenir le patriarche d’une des familles taurines des plus prestigieuse de l’histoire de la tauromachie. Officier militaire, il exerce comme capitaine de navire. Mais il va épouser une andalouse de Utrera, Consolación Fantoni de los Ríos, condesa de Jimena de Líbar, qui sera la source taurine de la famille. Elle était la petite fille de Juan de los Ríos Mateos, un des éleveurs les plus importants d’Utrera et de toute l’Andalousie. L’homme possédait huit immenses propriétés parmi lesquelles on retrouve « El Toruño », qui deviendra le fief des Guardiola. Salvador et Consolación eurent cinq enfants dont deux fils, Salvador et Juan, qui vont inscrire à jamais le patronyme des Guardiola au panthéon de la tauromachie.

Juan et Salvador Guardiola Fantoni sont néé à Utrera. Ils étudient au collège jésuite du Puerto de Santa Maria avant de lancer leurs études. Salvador passant avec succès le diplôme d’ingénieur industriel dans une école de Bilbao avant d’approfondir ses connaissances à New York. De retour en Andalousie il exercera de multiples fonctions très diverses. Conseillé de Banco de Andalucia et de la copañia de seguros Iberia, il est également au conseil d’administration de Textiles del sur y de Molinos de Ceuta, ainsi qu’actif dans des entreprises de culture coton et de riz. L’héritage des terres familiales, sera un atout majeur pour lancer ses activités.
Les deux frères font partie de l’aristocratie Andalouse et leurs noms sont souvent mentionnés dans les journaux mondains de l’époque où on se plait à énumérer à la mode catalogue, les participants des fêtes ou autres réunions illustres. Leurs fréquentations les amènent à côtoyer les grands éleveurs de l’époque qu’ils affrontent parfois lors des acosos y derivos. Cette proximité du milieu taurin, va les pousser à se lancer eux aussi dans l’aventure. Le premier à franchir le pas fut Juan, l’ainé. Peu de temps après la fin de la guerre civile, en Août 1941, il achète l’élevage de la famille Gamero Civico alors nommé « Torre Abad ». Si le nom des Gamero Civico est illustre, la devise de « Torre Abad » est assez discrète, presque un élevage secret. Il n’est pas inscrit à l’UCTL mais fait tout de même combattre des bêtes en novillada ou corrida, comme en 1932 à Madrid ou en 1934 à Séville. Parfois nommé comme la cinquième part de l’héritage de Fernando Parladé, le troupeau arrive dans les mains de Juan Guardiola Fantoni en 1941. Pour marquer ses bêtes, Juan utilise le fer d’Eduardo Ybarra, origine des Parladé de Gamero Civico et choisit une devise Grenat et or.

Trois ans plus tard, son frère Salvador l’imite et créé à son tour son élevage. Là encore le choix se porte sur une illustre devise, celle du Marquis de Villamarta. Au décès de sa veuve, Maria Davila y Garvey l’élevage est partagé entre ses cinq enfants. Le Marquis de Villabragima réussit à récupérer deux parties de la division. La part de Concepción, Marquise de Zugasti acquise auprès de Carlos Nuñez ainsi que la part de Maria, obtenue via Clemente Tassara. Clemente Tassara était également en possession de la part de Blanca, mais il poursuivit avec ce lot. Salvador Guardiola Fantoni connaissait bien le Marquis de Villabragima, avec qui il avait l’habitude de participer de colera aux acosos y derribos. En novembre 1944, il lui achète l’intégralité de son troupeau ainsi que ses deux fers. L’un est inscrit à son nom, pour lequel il choisit de reprendre la devise originale du Marquis de Villamarta, vert bouteille et vieil or, et l’autre au nom de ses enfants les « Señores Guardiola Dominguez ». Le troupeau était issu d’un savent mélange de sang que soulignait la diversité des robes. Ainsi, on retrouvait sur les pâtures de « El Toruño » des bêtes negra, castañas, cardenas, bragadas, liston et même berrendas.

Notre jeune ganadero, âgé de la quarantaine, avait beaucoup d’ambition et ne comptait pas s’arrêter là. A peine installé, il constitue en 1946 un second troupeau en achetant pas moins de deux élevages qui dérivent tous deux de la ganaderia de Garcia Pedrajas. Au mois de Mai 1946, il achète d’abord l’élevage de Manuel Guerrero Palacios, dont les bêtes avaient été acquises dix ans plus tôt à Mariano Fernandez Gomez, époux de Magdalena Garcia Natera, fille de Garcia Pedrajas. Elle avait hérité de la moitié du troupeau de son père, partagé avec son frère Francisco. Les 204 têtes firent le voyage depuis la province de Cordoue (La Carlota) vers Utrera. Les rejoignirent quelques mois plus tard leurs cousines, puisque Salvador Guardiola Fantoni acquis également via Salvador Nogueras, futur beau-père de son fils Alfonso, la totalité de l’élevage de Mariano Fernandez Gomez qui détenait le fer historique de Pedrajas. Salvador Nogueras joua un rôle purement anecdotique puisqu’il venait à peine d’acquérir la devise. Là encore le bien acquit par Salvador était des plus précieux. Le fer de Pedrajas fut inscrit au nom de son épouse Maria Luisa Dominguez y Perez de Vargas, tandis qu’un nouveau fer, inspiré du fer des Guardiola Dominguez fut titré au nom de l’ainé du couple, Salvador Guardiola Dominguez.

Au moment où Salvador structure sa firme, celle de son frère Juan va se désagréger. Juan Guardiola Fantoni est malade et part à Stockholm pour se faire soigner. L’intervention chirurgicale est très ris-quée et va malheureusement échouer. Juan décède lors de l’opération (1947). Un malheur n’arrivant jamais seul, le navire « Ivan » qui rapatrie la dépouille du défunt va faire naufrage après une colli-sion avec une mine. La veuve de Juan, sa fille et son docteur qui étaient à bord furent heureusement repêchés sain et sauf. La ganaderia de Juan fut alors partagée entre ses cinq fils : Alvaro, Armando, Manuel, José Luis et Juan. Alvaro, Armando et Manuel vendent immédiatement leur part. José Luis poursuivra une quinzaine d’année avant de vendre à Antonio Mendez laissant son frère Juan comme le dernier ganadero des Guardiola Soto.

Installé à « Zaragatin » Juan Guardiola Soto va s’avérer un excellent ganadero qui va savoir bonifier le bétail hérité de son père. Juan est aussi un fidèle défenseur des traditions, il perpétue la tienta de macho a campo abierto, un moment important dans la vie de l’élevage mais aussi un rendez-vous traditionnel pour les meilleurs cavaliers andalous.

Revenons aux années 50 qui lancent les ganaderias de Salvador Guardiola Fantoni, même si au milieu des succès se mêlent aussi fréquemment des polémiques agrémentées de sanctions. Dans les palmarès de fin d’année qui recensent les amendes infligées aux ganaderos on retrouve avec récurrence le nom de Guardiola, pour cause de manque de poids ou afeitado. Cependant les Guardiolas font leur trou et s’imposent peu à peu.
1960 sera une année noire. L’ainé des 15 enfants de la famille, Salvador Guardiola Dominguez qui officiait comme rejoneador venait de se marier au printemps. Le 21 Aout, il participait à un spectacle de rejon à Palma de Mallorca au cours duquel il se brisa le crâne. Il décèdera à l’infirmerie des arènes, devenant le premier rejoneador Espagnol décédé en plaza. Agé de seulement 31 ans, la nouvelle arriva rapidement à Séville ou elle fit grand bruit. Ses funérailles attirèrent la foule dans les rues de Utrera, rappelant les scènes vécues à la mort de Joselito.

Juan Guardiola Dominguez surnommé dans le milieu comme « Juanito » seconde alors son père avant de prendre peu à peu le premier rôle. Contrairement aux modes de l’époque, qui tendent à soustraire de la race au toro de combat, « Juanito » recherche la caste et la bravoure. Et ce sont bien ces deux fondamentaux qui vont faire la gloire des Guardiola. Une réussite de part sa direction mais aussi de part son application. Si bien qu’on le nomme populairement « El ganadero ». Et il ne cache pas son secret : une sélection sévère, très sévère, que peu d’autres éleveur était capable d’appliquer avec autant de rigueur. A cette époque aucun autre ganadero n’envoyait autant de vaches au matadero que la casa Guardiola.
En 1958 entre à la finca « El Toruño » un des piliers de la ganaderia en la personne de Luis Saavedra. Il fit ses classes aux côtés de Juan Belmonte, avant de prendre le poste de mayoral des Guardiola. Un rôle qu’il occupera à merveille. Considéré comme la référence du métier, il restera chez Guardiola jusqu’à sa retraite, soit une trentaine d’année sans jamais défaillir. Son rôle dans le succès et la longévité de l’élevage n’est certainement pas à minorer. Son duo avec « Juanito » était sans égale et tous deux portèrent les Guardiola au ciel. A Séville on se plaisait à dire que les Guardiola surpassait le real Madrid, puisqu’ils avaient remporté plus de prix à la Real Maestranza de Sevilla que le real n’avait décroché de titre de champion d’Espagne, et ce n’est pas peu dire. Séville est leur arène emblématique. L'élevage y devint incontournable pour le traditionnel rendez-vous du "Lunes de resaca". Dans les années 80, tout Séville attendait le tercio de piques des "Maria Luisa", des moments de grande émotion, qui allèrent parfois jusqu'à déclencher la musique. La devise réussit même l'exploit de remporter consécutivement cinq fois le prix du meilleur toro de la Feria d'Avril. Pampelune est également une des arènes phare des Guardiola avec 23 comparutions ou ils remportèrent par 4 fois le prix de la meilleure corrida des San Fermines et par trois fois le prix Carriquiri, décerné au meilleur toro de la feria. Ronda et sa fameuse corrida concours organisé par Antonio Ordoñez occupe aussi une place de choix dans l’histoire de la ganaderia. En 1988 « Peleon » puis en 1989 « Piano » remportèrent le prix du meilleur toro. Frères de père du semental « Calcetero », leur jeu fut si extraordinaire qu’ils furent tout deux graciés. « Piano » fut soigné et utilisé ensuite comme semental, malheureusement Peleon ne survécu pas à ses blessures au grand regret de « Juanito ». Car si Piano était un bon toro, Peleon était extraordinaire. Il était bien difficile de produire un autre toro qui puisse le dépasser ou l’égaler. Juan décède en 1997 d’un cancer. Son frère Alfonso prit la suite, mais il faut bien avouer que le décès « del Ganadero » marque la fin d’une étape.
Quelque temps après le décès (1993) de leur mère Maria Luisa Dominguez Perez de Vargas, la famille Guardiola Dominguez fit un premier partage. Ainsi en 1995, le fer de Salvador Guardiola Dominguez fut vendu à José Ortega Cano qui le renomme Yerbabuena. Javier, qui seconda pendant des années son frère Juan, choisit de partir seul et créé le fer de la goute qu’il inscrit à son nom. Alfonso restera à « El Toruño » avec les deux fers de ses parents, puisqu’il se défera en 2004 au profit de Fidel San Roman de la ganaderia des « hermanos Guardiola Dominguez ».
Alfonso Guardiola Dominguez tentera de préserver la réputation des Guardiola. Il créera même un autre fer en 1999, nommé Puerto Frontino ou il tenta le croisement des deux encastes. Mais à partir des divisions l’élevage décline. Alfonso décède en 2011 et tout doucement les Guardiolas s’éteignent eux aussi. Mais il se murmure que Jaime Guardiola conserve encore quelques bêtes. Le feu est éteint, mais pas mort. Reste quelques braises qu’il semble difficile mais pas impossible à raviver.

 


La maison Guardiola présente deux origines, le Villamarta et le Pedrajas. Toutes deux sont de provenance Parladé mais si le Pedrajas est une race pure, le Villamarta est, quant à lui, issu d’un métissage. Durant plus de soixante ans, deux générations de Guardiola préserveront avec fidélité ces deux encastes, sans jamais les mêler, les croisements n’étant pas une expérimentation à leur gout.

Acquise en 1944 au Marquis de Villabragima, la souche Villamarta fut la première. Et lorsqu’on parle de Villamarta rien n’est simple.
Le marquis ayant possédé successivement deux élevages, il convient de préciser d’abord de quel élevage il s’agit. Le sujet se porte ici sur son second élevage créé en 1914 et qui demeure le plus fameux. Puis il convient d’évoquer le mélange élaboré par le Marquis, dont la complexité est digne d’une grande recette de cuisine. Jugez du peu : Murube, Urcola, Medina Garvey, José Carvajal, Parladé et Santa Coloma. En tauromachie, des mets de qualités ne suffisent pas à produire un grand plat, l’histoire regorge d’exemples. Mais ici, nous sommes sur un contre-exemple et la sauce fut merveilleuse. Les robes du troupeau illustraient à merveille la diversité des sangs. Ainsi, on retrouvait sur les pâtures de « El Toruño » des bêtes negra, castañas, cárdenas, bragadas, listón et même berrendas. Cette dernière provenant des « Otaolas », l’appellation abrégé de Carlos Otaolaurruchi, un des élevages fétiches de Rafael El Gallo.
En 1944, la division de l’élevage date de seulement trois ans, c’est-à-dire que Salvador Guardiola Fantoni hérite d’un sang Villamarta presque intact, que les sélections de ses prédécesseurs n’ont pas altéré. Et Salvador va non seulement conserver intact son Villamarta mais aussi le bonifier.

Seulement deux ans après avoir débuté, Salvador Guardiola Fantoni forme un second troupeau. Cette fois avec l’encaste Pedrajas et là encore il puise son bétail pratiquement à la source, puisqu’il achète l’intégralité de la branche héritée par la fille de Antonio García Pedrajas, Magdalena García Natera.
Magdalena avait épousé Mariano Fernández Gómez, sous le nom duquel elle avait placé la moitié de l’élevage hérité de son père en 1929. Magdalena et son époux Mariano conserveront leur élevage jusqu’en 1946, se séparant seulement d’un lot de bêtes, acquises en 1936 par Manuel Guerrero Palacios. En 1946 donc, Salvador Guardiola Fantoni achète ces deux devises et se retrouve à la tête d’un conséquent troupeau de bêtes d’origine Pedrajas.
L’encaste Pedrajas est de pure souche Parladé, dont il constitue une des quatre branches fondamentales avec Tamarón, Rincón et Gamero Cívico. Fondé en 1910 par Francisco Correa à partir d’un lot de vaches et de l’étalon’Bandolero’, cette rame du Parladé va conserver des caractéristiques très « parladeñas » comme on dit, c’est-à-dire fidèles à ses origines avec très peu de mutations contrairement aux autres courants majeurs du Parladé. Antonio García Pedrajas eut le rôle majeur dans la création de cette rame en sachant fixer l’ADN parladeño. Un rafraîchissement de sang opéré dans les années 1920 avec les étalons ‘Jabato', ‘Horquillero’ et ‘Caraancha', de Gamero Cívico, l’aida dans son œuvre.

L’empire de Salvador Guardiola Fantoni représente dans les années 1950 un troupeau d’un peu plus de 500 mères avec une dominante Pedrajas. Plus précisément, en 1951, la ligne Villamarta contient 230 vaches (130 du fer de Salvador padre et 100 du fer des Guardiola Domínguez) tandis que les Pedrajas sont au nombre de 300 (175 du fer de Maria Luisa et 125 du fer de Salvador hijo).

Un même élevage pour deux encastes et quatre fers. Cependant, il était assez facile de distinguer les deux rames, notamment grâce à l’observation de leurs cornes. Les Villamarta était bien plus agressifs de tête, avec des armures bien blanches, plus astifinas qui remontent vers le ciel, veletas. Les Pedrajas, quant à eux, disposent de cornes plus sombres, plus ramassées et en forme de serpe, acapachadas.
La réussite en proportion identique des deux encastes de la maison est un autre fait extraordinaire chez Guardiola. S’il n’est pas rare de voir des éleveurs mener de front plusieurs encastes, pratiquement tous disposent d’un encaste phare qui éclipse les autres. Pas chez Guardiola où la réussite se compte autant pour les Villamarta que pour les Pedrajas. Si bien qu’il fallut attendre très longtemps avant que les lots soient lidier séparément. Alors lequel choisir ? Impossible de répondre à cette question qui serait comme choisir parmi ses propres enfants. Luis Saavedra avait une belle réponse à cette question qu’on lui posait sans cesse. Comme aficionado je préfère les Pedrajas pour leur bravoure inégalable. Mais je suis aussi un grand ami des toreros et de ce point de vue, rien n’égale la noblesse encastée des Villamarta.

 
 

Copyright @ 1999-2023        www.terredetoros.com        contact : thuries@terredetoros.com