Jacinto Ortega
Jacinto Ortega

Bien que Jacinto Ortega soit un patronyme classique du milieu taurin, ce nom ne vous dit peut-être rien. Rien d’étonnant à vrai dire, ce fer n’étant pas invité dans le circuit classique de l’aficionado. Sans ancienneté, il fait pourtant partie du petit cercle des élevages qui ont passé le siècle d’existence, sa création remontant aux années 1920. Élevage à l’ancienne, rustique, avec un campo idyllique et des origines... des origines, comment dire : romantiques ! Pour l’aficionado, les origines de Jacinto Ortega sont un labyrinthe insoluble duquel, heureusement, son propriétaire a les clefs : Veragua !
Évidemment, avec un tel CV, le fer n’est pas sur les grandes affiches modernes en papier glacé ; il préfère les vieux papiers qui annoncent les fêtes populaires où il est souvent convié.

Ancienneté : -
Devise : Blanc
Signal : Hendido à l'oreille droite
Muesca à l'oreille gauche
Propriétaire : Dionisio, Marcelina, Lilia, Rodolfo, Isaac Ortega Garcia et Julio, Jacinto, Teofilo Ortega Ruiz
Gérant : Dionisio Ortega Garcia
Fincas : "Los Monasterios"  Baños de la Encina
   Unión de Criadores de Toros de Lidia





Crédits photographiques : Terre de Toros  

 

Il y a des élevages où tout est compliqué : Jacinto Ortega est de ceux-là. Des difficultés quant à ses origines bien-sûr, mais aussi sur des faits habituellement plus simples, comme sa date de création. Jacinto Ortega, c’est compliqué et c’est comme ça. Alors il faut s’y faire et plutôt que de s’attarder sur des précisions, il est préférable de saisir le sens commun et de sentir une atmosphère. Parce que chez Jacinto Ortega, on compose avec la complexité des héritages et on ne s'empoisonne pas la vie avec les détails. En quelle année a été créé l’élevage ? Pffiiiou, « aquí estamos ». L’origine du bétail ? Veragua !

La complexité n’est pas l’exclusivité de Jacinto Ortega. Bien d’autres éleveurs la revendiquent et plus particulièrement dans la Sierra Morena (Jaén). Cette terre fut celle de nombreux éleveurs au début du XXème siècle, et pratiquement tous firent des mélanges de bétail complexes. Parmi eux, le plus célèbre est certainement Celso Pellón. À l’origine de la devise de Jacinto Ortega, nous débutons notre historique par ce fer.
Ce fer ou plutôt ces fers. Car Celso Pellón eut deux élevages avec des vies différentes. Sa première vie, il la débuta en 1898, dans sa finca de « Las Juntas » à Villanueva del Arzobispo. Il choisit alors du bétail d'Adalid auquel il ajouta des vaches d'Ibarra, le tout provenant de Vistahermosa. Son bétail était marqué d’un P dans un écusson et sortait sous une devise rouge et noire. À en croire les chroniques de l’époque, son bétail était quelque peu irrégulier. Un sang doté d’une grande caste, base idéale pour construire un grand élevage pour certains ou infâme pour d’autres et qui appelle d’urgence le changement des étalons... Celso Pellón, qui en dehors des toros à une vie bien chargée, étant entre autre maire de Villacarillo, passe même parfois pour être moyennement aficionado et trop dispersé. Finalement, son aventure sera à l’échelle ganadera, de courte durée puisque dix ans après ses débuts il vend la totalité de son bétail.
Mais il n’en avait pas terminé avec les toros ! L’homme reprend du service en 1920 avec un nouveau fer et ajoute du blanc à sa devise qui devient noire, rouge et blanche. Côté bétail, il choisit Francisco Trujillo qui possédait du Manuel Albarrán, un complexe mélange des castes Gallardo, Cabrera, Vázquez et Vistahermosa. Mais c'était encore trop simple, alors Celso Pellón rajouta la moitié de l’élevage de Emilio de Campos Fuentes (« Campos Varela » : Jijón largement rafraîchi par du Parladé et du Murube), des vaches du Duc de Tovar (Saltillo - Santa Coloma) et un étalon du comte de Santa Coloma. Rien de moins ! Pour simplifier, si l'on peut dire, les toros de Celso Pellón sont décrits comme un mélange de Santa Coloma et de « Campos Varela ». Leurs pelages classiques étant le negro, le cárdeno et les berrendos. Finalement, son élevage sera vendu en 1935 mais, auparavant, il avait eu le temps de vendre de nombreux lots, principalement à des éleveurs de la Sierra Morena à la tête desquels on retrouve Jacinto Ortega.

Jacinto Ortega crée son élevage en 1914 avec du bétail de Celso Pellón, comme l’annonce l’annuaire de l’U.C.T.L. et de nombreuses autres sources. Pourtant, cette même U.C.T.L., dans ses annuaires des années 1980, donnait comme année de création : 1921 ! Curieusement, l’annonce de la date de 1914 vient de sources récentes et plus on recule dans le temps plus l’année 1921 fait foi. Merveille de l’histoire de la tauromachie et des élevages braves ! Mais qu’importe me direz-vous. « Que nenni ! », vous répondrai-je. Car suivant que l'on se réfère à 1914 ou 1921, il n’est nullement question du même élevage de Celso Pellón ! Et si vous avez (très) bien suivi l’affaire, vous me répondrez à votre tour que la date de 1914 est erronée puisque Celso Pellón ne possédait plus d’élevage entre 1909 et 1919. Ce n’est pas faux, sans être assurément vrai. La solution, à mon sens, c’est Areva qui la donne en précisant que Jacinto Ortega ne débute pas avec du bétail de Celso Pellón mais du bétail d’origine Celso Pellón, acquis auprès de Jenaro López Quirano. Ce qui veut dire que Jacinto Ortega débute avec du bétail du premier élevage de Celso Pellón, Jenaro López ayant récupéré la moitié de l’élevage en 1908. Du coup, peu importe si la fondation date de 1914 ou 1921, une chose est sûre (?), c’est qu’il est parti de bêtes du premier élevage de Celso Pellón : soit l’origine Vistahermosa dans la ligne du Barbero de Utrera, les futurs Parladé.
Ce ne sont pas là les seules imprécisions de l’historique officiel. La correction de la date de création est couplée avec deux nouvelles informations liées aux origines et qui apparaissent aussi dans les années 1980 : l’introduction en 1920 de 40 vaches et un étalon du marquis de Cuyas (Jijón rafraîchi par divers Vistahermosa) et un autre étalon de Olea (origine Villamarta). Or, en 1920, l’élevage d’Olea n’existait plus et l’élevage du marquis de Cuyas... n’a jamais existé ! Il semblerait qu’il s’agisse plutôt du marquis de Cúllar.

Toujours est-il que Jacinto Ortega Casado implanta son élevage à Los Baños de la Encina (Jaén), profitant d’une autre propriété à Checa, dans la province de Guadalajara non loin de Teruel, pour organiser la transhumance. Il diversifia rapidement les origines et introduit un étalon de Rufo Serrano (Barbero de Utrera) et un étalon de son compagnon de transhumance Bernardino Jiménez qui détenait un mélange de toro de la terre, rafraîchi avec du Martínez et du Veragua. Les résultats n’étaient pas brillants, comme le souligne le fait de ne s’être jamais présenté à Madrid avec une aussi grande durée de vie. Les toros de Jacinto Ortega sont souvent mansos et compliqués mais aussi, bien que plus rarement, braves et encastés. Les pelages étaient très variés allant du classique negro au berrendo en colorado, en passant par le cárdeno et le salpicado.
En 1945, Jacinto Ortega pencha pour la caste Veragua et introduit une cinquantaine de vaches d’un autre éleveur de la province, précisément de Navas de San Juan : Diego Collado. L’origine n’était pas pure veragueña mais mêlée de sang « Campos Varela ».
Au décès de Jacinto Ortega, en 1955, sa veuve et leurs sept enfants poursuivirent le travail sans changer les origines. Son fils, Rodolfo Ortega García prend la tête de la devise et va travailler son sang Vistahermosa - Vázquez au point de l’appeler aujourd’hui simplement « Veragua ». L’actualité du marché taurin est évidement difficile pour ce fer, voire impossible. Les débouchés sont dans les rues et les spectacles populaires traditionnels. Mais, au cheval, le ganadero assure que le spectacle est là, après... Après, disons qu'il ne se passe pas tout à fait la même chose que ce qu'il se passe avec les autres toros... Juan Ortega est le torero de la famille et suit avec assiduité la vie de l’élevage. En 2020, Rodolfo Ortega García décède d’un infarctus à l’âge de 87 ans laissant à sa famille un vestige qui a traversé le temps, espérons que la famille Ortega puisse garder cet oasis encore longtemps.

 


La Sierra Morena, outre sa beauté, est connue des aficionados pour abriter des élevages aux origines extrêmement complexes, qui apparaissent dans la cabaña brava actuelle comme improbables. Citons Flores Albarrán, Mariano Sánz Jiménez, Araúz de Robles et, bien-sûr, Jacinto Ortega. Pour faire simple, Jacinto Ortega est, comme le dit si bien l’U.C.T.L., un mélange de plusieurs sangs à prédominance Veragua et Gamero Cívico. Ou plus simplement, selon son propriétaire, à prédominance Veragua. Tentons quelque peu de détailler le mélange et de regarder d’où peut venir cette ascendance Veragua.

Le catalogue d’abord. Oui, l’assemblage réalisé par la famille Ortega tient plus du catalogue que du livre généalogique. Jugez plutôt : 30 vaches et l’étalon 'Peludo' de Jenaro López (ex Celso Pellón), un étalon de Bernardino Jiménez, un autre de Rufo Serrano et la moitié de l’élevage de Diego Collado, soit 50 vaches et 20 mâles. Une liste à laquelle il faut ajouter, en 1920, un étalon d'Olea ainsi que 40 vaches et un étalon du Marqués de Cuyas. Données controversées puisque le Marqués de Cuyas n’a jamais existé et qu’en 1920 aucun élevage ne portait le patronyme d'Olea. On peut supposer qu’il s’agit plutôt du Marquis de Cúllar, à l’origine du troupeau de Rufo Serrano, et qu'il y a vraisemblablement, au sujet d'Olea, une erreur sur l’année de l’achat.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger le détail de chacune des origines de cette liste. Je vais seulement me contenter de les dégrossir. Tout d’abord, il est à noter que ce mélange présente différentes castes. À côté de l’inévitable caste Vistahermosa, on retrouve la caste Vázquez et même la caste Jijón, les toros de la terre de Castille rafraîchis par les castes andalouses étant présents chez Bernardino Jiménez, Diego Collado via la branche « Campos Varela », le marquis de Cúllar et donc Rufo Serrano. Côté Vistahermosa, si on décline aujourd'hui sa descendance en deux rames on obtient, pour faire simple : d’un côté le Saltillo, de l’autre le Murube. Seule la rame Murube, c'est-à-dire celle du Barbero de Utrera, est présente dans l’élevage de Jacinto Ortega. Du Barbero de Utrera provenant de différents moments de son évolution. Ainsi, on retrouve : sa version antique par Adalid (chez Celso Pellón) ou par le marquis de Villamarta (chez Olea) ; sa variante post-moderne avec les Ibarra présents chez Celso Pellón et Rufo Serrano ou, enfin, moderne avec les Parladé - Gamero Cívico de la souche « Campos Varela » chez Diego Collado.

Quoi qu'il en soit, l’élevage de Jacinto Ortega est réputé comme représentatif de la caste veragueña. Mais d’où vient cette origine ? De la longue liste citée précédemment, deux élevages seulement sont susceptibles d’avoir fourni cette ascendance : Bernardino Jiménez et Diego Collado. Bernardino Jiménez avait croisé son bétail de la terre avec des étalons du duc de Veragua. Mais Jacinto Ortega n’a utilisé qu’un étalon de Bernardino et il est peu probable qu’un étalon, de surcroît métissé, eut suffi à propager la génétique Veragua à l’ensemble du troupeau. Il semble donc que la devise de Jacinto Ortega tienne son Veragua de l’élevage de Diego Collado. Difficile de vous en dire d’avantage sur cet homme que la littérature taurine ignore. Je peux simplement vous informer qu’il disposait dans les années 1940, dans les environs de Navas de San Juan (Jaén), d’un élevage aux origines « Campos Varela » et Veragua. Il semblerait que l’origine Veragua était puissante, sans pouvoir toutefois vous l’assurer. La génétique taurine est remplie de tant d'incertitudes et Jacinto Ortega en est un exemple aussi parfait qu'illustre…

 

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